Les Baoulé estimés à un million au début du siècle, font partie du groupe akan de la Côte-d'Ivoire. Ils occupent une partie de l'est de la Côte-d'Ivoire à la fois forêt et savane. Les Akan créèrent une série de royaumes et de cités-Etats qui occupèrent progressivement toute la région forestière jusqu'au golfe de Guinée. Au cours du XVIIIe siècle, la reine Abla Pokou dut conduire son peuple vers l'Ouest, jusqu'aux rives de la Comoé chez les Sénoufo. Pour franchir le fleuve, elle sacrifia son propre fils. Ce sacrifice fut l'origine du nom de Baoulé, car baouli signifie "l'enfant est mort" (J. N. Loucou, 1984). Le régime étant de type matrilinéaire, à la mort de la reine, sa nièce lui succéda et dirigea le royaume de Sakassou qui réunissait les tribus qui l'avaient suivie dans son exode. Toutefois, le système politique étant décentralisé, les relations avec Sakassou se limitaient au paiement du tribut, aux jugements en appel et aux questions religieuses. L'autorité effective de la reine ne s'étendait pas au-delà du village où elle résidait et son rôle ne répondait qu'à une fonction de prestige. Les pouvoirs régionaux étaient confiés à des membres du clan royal warebo.
Ils exploitèrent les régions aurifères et développèrent une nouvelle civilisation, synthèse des Akan et des autochtones conquis. Au début du XIXe siècle, la ruée vers l'or et les luttes intestines provoquèrent un dépérissement de l'Etat, accéléré par l'occupation coloniale (J. N. Loucou, 1984.)
Au début du XXe siècle, les administrateurs A. Nebout puis M. Delafosse quelques années plus tard, jugèrent les Baoulé dans un " état de parfaite anarchie tempérée par les traditions, les coutumes et le bon sens ". La société baoulé se caractérisait, selon M. Delafosse, par un individualisme extrême, une grande tolérance, une aversion profonde pour les structures politiques rigides, l'absence de classes d'âge, d'initiation, de circoncision, de prêtres, de sociétés secrètes ou d'associations avec grades. Chaque village était indépendant des autres et décidait pour lui-même sous la présidence du conseil des anciens. Chacun participait aux palabres, y compris les esclaves. C'était une société égalitaire.
L'organisation sociale est fondée sur la famille élargie qui forme un auto. S'il y a plusieurs familles dans le même village, on choisit l'homme le plus riche, le plus éloquent ou le plus rusé pour régler les affaires d'intérêt commun avec le conseil des notables. Il n'y a pas de distinction entre la parenté paternelle ou maternelle, ni de mariage préférentiel, à l'exception de quelques interdictions, par exemple le mariage avec un membre d'un autre aulo est prohibé pour quatre générations s'il existe déjà une union entre ces deux aulo. L'unité politique est le village mais le chef n'a pas le pouvoir d'imposer une décision impopulaire, ni de moyen de coercition. A l'arrivée des Français, des femmes occupaient souvent la fonction de chef de village. M. Delafosse remarque justement que la langue des Baoulé ne comportait pas de mot pour " chef" au sens ordinaire, sinon comme chef de famille.
De nombreuses légendes ont été recueillies sur la création du monde, le déluge, le changement de lit du fleuve Bandama, le passage de la Gomoé et la conquête du pays baoulé. L'animal-héros est une araignée mâle, avare, rusée et méchante, mais qui finit par être punie.
Les Baoulé croient en un dieu créateur Nyamien, intangible et inaccessible. Le dieu de la terre Asie contrôle les hommes et les animaux. Les esprits ou Amuen sont dotés de pouvoirs surnaturels. Le monde réel est l'opposé du monde spirituel blolo d'où viennent les âmes à la naissance et où elles retourneront à leur mort. La religion est fondée sur l'idée de la mort et de l'immortalité de l'âme. Les ancêtres font l'objet d'un culte mais ne sont pas représentés. Autrefois, une mort n'était jamais considérée comme naturelle : aussi était-il nécessaire de démasquer le responsable. Au cours du rituel, deux hommes portaient le cadavre sur leur tête : guidés par les esprits, les pieds du mort venaient heurter le coupable qui subissait alors l'épreuve du poison. Le double du défunt devant vivre une autre vie, on lui sacrifiait des femmes et des esclaves s'il était un notable. L'héritier était le frère ou la sœur né de la même mère que le défunt, car on n'est " jamais sûr d'être le fils de son père ".
Les rituels évoluent : la création d'un nouveau culte peut être décidée à la suite d'un rêve ou d'une crise de possession pendant lesquels l'esprit se révèle et explique à " l'élu " le rituel, les règles et les objets qu'il lui faut acquérir ou fabriquer, en spécifiant la coiffure, l'âge, la posture et les scarifications s'il s'agit d'une statuette. (S. Vogel, 1981.)
Les sculptures en bois et les masques permettent un contact plus étroit avec le monde surnaturel. Les figures baoulé répondent à deux types de dévotion : les unes figurent l'époux " spirituel " qui, pour être apaisé, exige la création d'un autel dans la case personnelle de l'individu. Un homme possédera son épouse blolo bian et une femme son époux blolo bla qu'ils emporteront dans tous leurs déplacements. Les autres figures sont sculptées pour abriter les esprits naturels (Asie usu).
On note, chez les Baoulé, une grande mobilité des personnes et des œuvres d'art et leurs déplacements sont l'occasion de commanditer des sculptures ou d'importer un nouveau type de danse qu'un membre du village a pu voir lors d'un voyage. Les artistes peuvent avoir appris dans un certain atelier et exécuter des œuvres de style différent. Ils voyagent et travaillent pour des clients qui sont parfois venus de loin.
Les masques correspondent à trois types de danses : le gha gba, le bonu amuen et le goh. Ils ne représentent jamais des ancêtres et sont toujours portés par des hommes.
D'origine gouro, le gba gba est employé aux funérailles de femmes pendant la saison des récoltes. Il célèbre la beauté et l'âge, d'où la finesse de ses traits. Le masque double représente le mariage du soleil et de la lune ou des jumeaux dont la naissance est toujours un bon signe.
Le bonu amuen protège le village de menaces extérieures, il oblige les femmes à une certaine discipline et apparaît aux commémorations des morts des notables. Les esprits de la brousse ont leurs propres sanctuaires où ils reçoivent des sacrifices. Lorsqu'ils interviennent dans la vie communautaire, ils prennent la forme d'un heaume en bois représentant un buffle ou une antilope et sont portés avec des costumes en raphia, des bracelets de chevilles en métal ; le museau comporte des dents qui incarnent la force de l'animal féroce qui doit les défendre.
Le goli de forme ronde, " lunaire ", très caractéristique, est surmonté de deux cornes. Il a été emprunté aux Wan pour une fête adoptée par les Baoulé après 1900. Célébrant la paix et la joie, on y chantait, dansait et buvait du vin de palme. Dans la procession, le goli précédait les quatre groupes de danseurs et représentait les jeunes adolescents. Le goli " sortait " à l'occasion de la nouvelle récolte, de la visite de dignitaires ou des funérailles de notables.
Non héréditaire, le métier de sculpteur résulte d'un choix personnel ou d'un désir qui se manifeste lors d'un rêve ou d'une crise de possession. Certains types d'objets standardisés ne répondent plus à des exigences rituelles spécifiques, les gongs ou les poulies, par exemple, sont fabriqués et emmagasinés.
La statuaire baoulé se caractérise par un certain réalisme ; on y retrouve les canons de la beauté telle qu'ils la conçoivent : des mollets ronds pour les femmes, des mains longues aux doigts effilés, de petites fesses. La coiffure harmonieuse est faite de nombreuses nattes finement tressées. La barbe est soignée et quelquefois nattée. La patine est lisse. Les Baoulé ont aussi créé des figures de singe plus ou moins ressemblants. Doté d'une mâchoire prognathe aux dents aiguës, une patine granuleuse due aux sacrifices, le singe tient dans ses pattes une coupe ou un pilon. Les sources divergent sur son rôle et sa fonction : tantôt il interviendrait dans le rituel de divination, tantôt il serait une protection contre les sorciers dans des associations masculines, tantôt une divinité protectrice des rites agraires, parfois génie de la brousse. Ce culte ne serait pas antérieur à la conquête de Samory, donc relativement récent.
La statuaire baoulé est quantitativement très importante, mais les grands chefs-d'œuvre sont rares.
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